Depuis que je fais du Tarot, j’ai toujours eu une prédilection pour les jeux historiques, j’aime particulièrement le style du Tarot de Marseille. Ces jours-ci, j’utilise surtout le Jean Noblet et le Jean Dodal, datant respectivement de 1650 et 1701.
J’aime leur iconicité, la façon dont ces images simples peuvent se rapporter le plus directement possible à l’histoire que nous lisons pour le consultant. Contrairement à de nombreux jeux plus modernes, c’est cette simplicité qui permet à notre imagination de parcourir ces images simples et de déclencher les interprétations que nous leur donnons et l’histoire qu’elles véhiculent. Directement, sans avoir à mémoriser des listes de mots-clés ou des systèmes supplémentaires.
Si l’on se penche sur la période de création de ces premiers tarots italiens et marseillais, du XVème au XVIIIème siècle, la lecture et l’écriture étaient réservées au clergé et à quelques privilégiés de la classe supérieure. Je serais vraiment surpris que les ancêtres de nos grand-mères,… aient eu les compétences pour lire un livre. Ainsi, la seule façon de les interpréter, en supposant qu’elles soient déjà utilisées pour la divination, serait de décoder les images, ce que l’on appelle communément le langage des oiseaux. Ve qui signifie regarder les postures des gens, où ils regardent, ce qu’ils font…
La lecture de 3 cartes est certainement l’un des meilleurs outils que nous pouvons avoir dans notre arsenal. Non seulement 3 cartes suffisent à donner une interprétation de base à toutes les questions posées, mais elles constituent également l’élément de base à de nombreux tirages plus complexes, tels que le carré de 9, la grande étoile de 13 cartes d’Etteilla, ou même les 3 marches d’Etteilla, tirage complexe utilisant 23 cartes. Dans tous ceux-ci et beaucoup d’autres, même s’ils sont composés de nombreuses cartes, ils sont lus dans des triplets, avec exactement les mêmes techniques qu’une lecture de base de 3 cartes.
En interprétant un tirage de 3 cartes, nous lisons une histoire de 3 cartes, et non 3 cartes séparées les unes des autres. Nous regardons d’abord l’ensemble au lieu des détails. Nous n’utilisons pas de significations apprises par coeur, nous regardons comment chaque élément correspond visuellement à l’histoire. Interpréter carte par carte et utiliser des significations préconçues équivaudrait à interrompre la lecture d’une phrase à chaque mot et à chercher les définitions, et à essayer de donner un sens à chaque mot. Cela n’a pas beaucoup de sens de faire cela, a mon opinion, avec ces jeux historiques.
Comme un exemple vaut souvent mieux qu’une longue explication, prenons 3 cartes et je vais montrer comment on peut les lire en pratique.
Nous avons LAMOUREU, LE PANDU et JUSTICE.
Que se passe-t-il ici? Dans l’amoureux, un homme est pris entre deux femmes. Chacune semble le tirer dans leur direction. Au dessus, on trouve un ange, un cupidon, les yeux bandés, qui semble prêt à lancer une flèche. Vient ensuite le pendu, où l’on voit un homme pendu par un pied, entre deux poteaux. Et enfin Justice, où le personnage est assis, avec une balance et une épée à la verticale.
Que ressentons-nous en voyant cette histoire? L’homme du pendu ne semble avoir aucun pouvoir sur ce qui se passe. Il est juste impuissant, la tête au ras du sol. Mais comment en est-il arrivé là? En regardant l’amoureux, on voit cet homme hésitant entre ces deux femmes, tiraillé à gauche et à droite. Il n’y a pas aucun pouvoir ici non plus. À la limite, s’il y avait un pouvoir quelque part, ce ne serait que Cupidon livrant finalement cette flèche, mais il a les yeux bandés, où il la lancerait serait dicté par le hasard.
Alors, comment ressentons-nous cette histoire? L’homme a été rendu immobile, il est impuissant car il n’y a aucun sens de décision qui ait été prise chez l’amoureux. Hésitant entre les deux, immobile, impuissant à avancer.
Heureusement, nous avons la justice en dernier. Elle pèse avec les plateaux de la balance et son épée est levée. Comme si elle était prête à couper la corde du pendu quand elle a fini de peser les plateaux et enfin prête à le libérer. La justice est le seul endroit où nous avons quelqu’un ayant le pouvoir de faire quelque chose dans cette histoire.
L’idée est simple dans cet exemple, le concept est simplement que les hésitations et le manque de décision vous laisseront comme ce pendu, incapable de bouger, jusqu’à ce qu’une décision soit finalement prise. Choisissez quelque chose ou soyez damné.
Un point intéressant est que nous avons fait cette lecture complète sans même avoir posé une question, en utilisant principalement des descriptions qui nous amènent à une certaines conclusions. On peut en rester à ce stade, le consultant fera certainement le lien entre un choix à faire et sa propre vie. Ils savent généralement quels sont leurs problèmes, où un choix dans leur vie les paralyse. Cet exemple semble simple, mais est certainement une façon d’ouvrir la conversation pour approfondir les problèmes de la personne demandant une consultation.
Jeu: Jean Dodal, stencil peint à la main, par JC Flornoy.